Influencé par les avant-gardes et l’architecture modernistes, auxquelles il emprunte une certaine manière de considérer la peinture comme un objet, une simple forme sur un mur, Leslie Smith III se distingue par une pratique artistique qui ne peut cependant pas se réduire au seul champ de l’abstraction. Il s’attache au contraire à une forme exigeante et singulière de narrativité. Ayant abandonné la figure humaine, que l’artiste juge «encombrante», il lui préfère la malléabilité du signifiant abstrait, pour la raison qu’il permet d’abolir et de dépasser le réflexe trop univoque de la reconnaissance. L’abstraction, dès lors, s’impose à lui comme un outil idéal pour figurer l’expérience humaine et traduire en formes les liens qui unissent ou contraignent les individus entre eux : « Souvent, j’essaie de définir des caractéristiques formelles qui s’apparenteraient à de l’agressivité ou de la passivité, en une forme ou bien deux formes qui se rejoignent. »*
Ainsi ses shaped-canvas et ses dessins sur papier établissent-ils des relations graphiques radicales, auxquelles l’intensité des couleurs et la subtilité des dégradés confèrent une poésie particulièrement incarnée, et humaine. Car c’est bien dans ce trouble que se situe le vrai sujet de la peinture de Leslie Smith III : une volonté de communiquer au spectateur des émotions tout à la fois réelles et abstraites, authentiques quoique construites.
Cette oscillation entre deux régimes (du sentimental à l’idéel) n’est d’ailleurs pas sans rappeler les principes du Performatisme, tel que défini par Raoul Eshelman** et qui, empruntant sa rigueur au Postmodernisme, y adjoint cependant un désir sincère de partager l’expérience du Beau, de l’amour, de la foi et de la transcendance. Un entre deux fertile dont se revendique Leslie Smith III et qui lui permet d’aboutir à une plus grande diversité d’intentions et un plus haut degré d’humanisme : « C’est facile de trouver une solution à des situations manichéennes, franchement blanches ou noires. Mes peintures, quant à elles, s’efforcent de représenter cette zone grise, plus complexe, dans laquelle nous vivons. »*
Thibault Bissirier, février 2019
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* Extraits d’un entretien donné à Bridget Gleeson en 2017 pour Artsy ** Voir notamment : Raoul Eshelman, Performatism or the End of Postmodernism, 2008

Leslie Smith III, The Backside of Happiness, 2020
Huile, acrylique et graphite sur toile (châssis irréguliers)
Courtesy artiste & Galerie Isabelle Gounod
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