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Thibault Bissirier

Aurore Pallet | Les terres jaunes

Galerie Isabelle Gounod, Paris

25 janvier - 22 février 2020



Des rues désertes. Aux carrefours clignotent encore des feux de circulation. Les vitrines des magasins, pillées, vidées, ont déversé leurs bris de verre sur la chaussée où gisent des chiens affamés. Dans une maison abandonnée grésille un poste de télévision laissé allumé tandis qu’au loin, terrible et menaçante, la montagne tremble et fume, annonçant le pire.

Fermez les yeux et voyez ces images qui flottent au revers des paupières. Elles glissent comme des ombres, se figent un instant avant de s’évanouir. Fixez à présent le ciel clair et les astres qui s’y accrochent. Voyez comme ils s’alignent et profilent les destins des hommes. Saisissez au passage la volée d’étourneaux qui, au-dessus de la ville, forment des augures indicibles. D’aucuns y décèleront des avertissements, des prémonitions. De ces images qui nous guettent et nous hantent ; qui conservent leur mystère, tracé d’un trait dans l’indistincte nuit du temps. Quelle qu’en soit la nature, elles surnagent entre deux mondes. Quel que soit l’ordre du monde, elles en signalent une autre version possible. A l’envers et à rebours.

Durant l’été 1976, Werner Herzog se rend à Basse-Terre, en Guadeloupe. Toute la ville vient d’être évacuée alors que le volcan de la Soufrière menace d’exploser. Informé de la présence sur place de plusieurs habitants ayant refusé de partir, le réalisateur allemand décide d’aller à leur rencontre et de filmer les dernières heures de la ville. Les images qu’il nous lègue sont celles d’une cité fantomatique, pétrifiée par le silence. C’est Pompéi retrouvée avant même sa disparition.

De ces images spectrales, Aurore Pallet fait collection, cheminant à travers elles comme en un territoire saturé. Elle y prélève des fragments qu’une accumulation intuitive épuise avant de les métamorphoser. Chaque œuvre de cette nouvelle série renferme ainsi plusieurs fantômes, qu’accaparent et saisissent les passages successifs de peinture à l’huile. Ici, un souvenir de carte postale se superpose au langage : une phrase comme un écho captif de l’image qui la frôle. Ailleurs, la trame affleure ou se résorbe, scintillante ou hésitante. Non sans douceur, le chaos des réminiscences se substitue à toute cohérence et laisse poindre alors les signes étranges d’un renversement à venir. L’imposture du temps se révèle et la ligne courbe que les œuvres d’Aurore Pallet tracent à travers lui semble vouloir signaler que c’est toujours la fin d’un monde. Et que tout cela a peut-être déjà eu lieu.

Dernières images des fumées de souffre. Dernier travelling sur un paysage de début du monde. Mais rien n’advient et le volcan se rendort. Alors la voix du narrateur conclut :

« Maintenant, ce sera un documentaire sur une catastrophe inévitable, qui ne s’est jamais produite. »



Thibault Bissirier, décembre 2019



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Les passages en italique font référence au film de Werner Herzog La Soufrière (1977).


Vue de l'exposition personnelle d'Aurore Pallet, "Les terres jaunes"

Galerie Isabelle Gounod. Photographie : Rebecca Fanuele, 2020

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