Galerie Isabelle Gounod, Paris
25 avril - 25 mai 2019
Octobre 1852. Dans son journal, l’écrivain et philosophe Henri Frédéric Amiel consigne le souvenir d’une promenade au jardin avant de conclure : « Un paysage quelconque est un état de l’âme ». Anticipant les préceptes d’une phénoménologie de la perception, telle que définie notamment par Maurice Merleau-Ponty près d’un siècle plus tard, Amiel distingue ici le paysage comme un espace subjectif, au creux duquel résonne le double retentissement de l’affectivité du sujet sur le monde et du monde sur le sujet. A la différence du lieu qui préexiste au promeneur et survit après lui, le paysage paraît tout entier dépendant de son passage. Image vivante et habitée par lui, il éclot et se fane au bord des yeux qui le contemplent, au seuil des mots qui le ressuscitent. Il n’est autre chose que le monde vécu et décrit par le sujet, un objet du désir et du souvenir.
Le travail de Sophie Kitching partage ce même attachement à retranscrire l’expérience affective du quotidien, avec laquelle elle ne cesse de renouer à travers ses installations, peintures, vidéos et sculptures. Sa méthode, fondée sur l’observation analytique de son environnement, lui permet d’en décomposer chaque élément et chaque mouvement pour n’en garder in fine que les formes les plus essentielles : le miroitement de l’onde et le crépitement des frondaisons, la lame d’un reflet ou la fraîcheur d’une ombre. Puis cette question, nichée au cœur de sa pratique : comment répéter le paysage ? Par où y entrer de nouveau ?
Conçus comme des dispositifs actifs, ses peintures sur polycarbonate et miroir sans tain répondent à ces interrogations en dépassant le simple enjeu de la description du paysage pour en réactiver les vibrations de la lumière et recouvrer les possibilités d’une expérience subjective pure, à la lisière de l’abstraction. Ces objets ambigus, entre peinture et architecture, parviennent à dégager une ouverture dans l’espace et le temps, comme autant de respirations.
Pour sa première exposition à la Galerie Isabelle Gounod, Sophie Kitching met en relation ce travail pictural avec un projet inédit d’installation et de photographie, inspiré des devantures de « Deli », ces épiceries de New York dont les vitrines de fortune en toile vinyle et aluminium présentent aux passants leurs alignements de fleurs, de jour comme de nuit. L’artiste s’emploie ici à en retranscrire les effets vibratiles et les couleurs, avec cette même attention portée aux détails du quotidien que l’on retrouve plus loin dans sa vidéo « Parades », dont le montage par superposition semble rejouer la mécanique du souvenir.
Observer, répéter, recouvrir. Par ses gestes l’artiste redonne aux objets les plus simples, aux instants anodins, une charge poétique nouvelle : la promesse d’un ré-enchantement énoncée par la porte entr’ouverte de l’imagination.
Entrez, vous qui passez.
Thibault Bissirier, avril 2019
Vue de l'exposition personnelle de Sophie Kitching
Galerie Isabelle Gounod. Photographie : Rebecca Fanuele, 2019
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