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Thibault Bissirier

Au Palais de Tokyo, les signaux sensoriels de Mohamed Bourouissa

THESTEIDZ.COM | 03.06.2024 | ART CONTEMPORAIN / EXPOSITIONS


Présentée au Palais de Tokyo, l’exposition “Signal” offre une plongée captivante dans l’œuvre de Mohamed Bourouissa, dévoilant la richesse de sa réflexion sur des thèmes aussi variés que la violence, l’enfermement, l’aliénation et le contrôle des corps. 


Disparate, le projet de Mohamed Bourouissa (né en 1978) se déploie comme un rêve ou un cauchemar sans logique apparente, ni but, sinon celui de dresser le constat amer de l’état d’intoxication de nos sociétés. Il faut tout d’abord souligner l’attention que l’artiste porte à l’environnement dans lequel s’inscrit “SIGNAL”, considéré davantage comme un espace d’expérimentation que simplement un lieu de présentation. Ainsi, dans la longue galerie qui appelle à la flânerie et à la promenade, l’artiste plante un jardin, au milieu duquel les œuvres surgissent çà et là, comme des floraisons de l’esprit.


L’exposition s’ouvre sur un bosquet de mimosas. Sol jaune, de la même couleur que les fleurs ; une quinzaine de bidons en métal, montés sur roulettes et desquels s’élancent les graciles frondaisons ; dans l’air, une musique plane, dont on ne saisit pas immédiatement la provenance. Pour cette installation, Mohamed Bourouissa récupère les fréquences électriques des plantes grâce à des boîtiers capables de traduire leurs sons. Originaire d’Australie, mais aujourd’hui présent sur tout le pourtour méditerranéen, le mimosa est devenu pour l’artiste le sujet d’une exploration complexe qui nous parle de déplacements, mais aussi des liens sensoriels qui unissent les êtres vivants à leur environnement. Précisément, plutôt que d’imposer un protocole rigide, Mohamed Bourouissa cherche partout à créer ces sortes d’interactions entre le visiteur, ses œuvres et l’architecture qui les abrite. On retrouve encore cette approche dans la manière dont il choisit de présenter ses vidéos, par exemple. Au lieu de les diffuser les unes à côté des autres, il préfère disperser les écrans, chacun diffusant des ensembles de sons et de courts-métrages de manière successive, avec parfois des pauses et des silences. Ce faisant, Mohamed Bourouissa souligne encore davantage la sensation de durée, provoquant une expérience temporelle fluide et dynamique, qui nous laisse libres d’aller et venir, de butiner. Ici, l’idée de jardin va bien au-delà de l’esthétique ou de l’agrément. C’est un espace mental, un lieu de soin et de divagation. Un moyen de s’évader également. De fait, l’exposition s’arpente sans qu’on ne se sente jamais contraints.


Quoique présentée comme une rétrospective, “SIGNAL” ne se limite pas à l’œuvre individuelle de Mohammed Bourouissa, mais multiplie au contraire les invitations. Parmi celles-ci, le collectif HAWAF et son projet novateur, le SAHAB Museum, mérite une mention particulière. Créé il y a bientôt quatre ans en collaboration avec des artistes à Gaza, ce projet est né de la volonté de rendre visible la scène palestinienne. Rapidement, l’idée d’un musée sans mur, virtuel, permettant une plus grande liberté de diffusion, s’est imposée. Toujours en cours de développement, le SAHAB Museum est ici décliné sous la forme d’un conte, où l’on suit le récit émouvant d’une tigresse descendue des nuées du monde de l’imaginaire pour visiter notre réalité. Comment continuer de vivre malgré la guerre, malgré la mort ? Là encore l’art, la création et l’imagination s’imposent comme une voie d’évasion.


Au milieu de la diversité des propositions, qui vont de la sculpture à l’aquarelle en passant par le dessin, la peinture et la photographie, le film Généalogie de la violence (2023) s’impose incontestablement comme l’œuvre phare de l’exposition. Si Mohammed Bourouissa prend pour point de départ une arrestation policière, il ne se contente pas de dépeindre la violence subit, mais plonge le spectateur dans un voyage émotionnel intense, mettant en lumière l’ambiguïté des rapports entre ceux qui incarnent l’autorité, ceux qui la subissent et ceux qui en restent les témoins, complices ou impuissants. En utilisant un bras robot pour filmer au plus près des figurants et des textures de leurs vêtements, l’artiste crée ici une atmosphère déshumanisée, renforçant ainsi le sentiment de dépossession ressenti par le protagoniste. La scène banale d’arrestation bascule tout à coup dans le monde intérieur de ce jeune homme interpellé sans raison, puis revient nous chercher pour de nouveau nous replonger dans la sidération, la fascination, ou l’incompréhension. Il est des colères qui restent muettes, des émotions qui nous traversent sans que nous ne puissions y poser des mots. Ce sont celles-ci que le film explore, celles-ci qu’il nous donne à sentir.


“SIGNAL” est donc définitivement bien plus qu’une rétrospective : c’est une expérience sensorielle, en même temps qu’une invitation à réfléchir aux liens qui unissent chacun de nous à son environnement, à son histoire, mais aussi à ses semblables. Dans un monde saturé de stimuli, Mohamed Bourouissa nous enjoint à guetter les signaux faibles. Car ce sont eux qui importent, eux qui nous forgent et parfois nous menacent.


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Exposition “SIGNAL” by Mohamed Bourouissa

Jusqu’au 30 juin 2024 at Palais de Tokyo

13, avenue du Président Wilson – 75116 Paris


Vue de l’exposition “SIGNAL” de Mohamed Bourouissa, Palais de Tokyo, Paris, 2024. Photo : Aurélien Mole. © ADAGP, Paris, 2024.


Vue de l’exposition “SIGNAL” de Mohamed Bourouissa, Palais de Tokyo, Paris, 2024. Photo : Aurélien Mole. © ADAGP, Paris, 2024.


Vue de l’exposition “SIGNAL” de Mohamed Bourouissa, Palais de Tokyo, Paris, 2024. Photo : Aurélien Mole. © ADAGP, Paris, 2024.


Vue de l’exposition “SIGNAL” de Mohamed Bourouissa, Palais de Tokyo, Paris, 2024. Photo : Aurélien Mole. © ADAGP, Paris, 2024.



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