Solo Show
Werwalterhaus – Kulturkapellen Berlin
17.08 – 03.09.2023
Parfois les mots nous manquent, parfois ils sont de trop et quand on finit par les dire il arrive que personne ne les entende. Tant de paroles qui se refusent et qu’on laisse en suspens. Que ce soit dans ses œuvres sur papier ou ses installations, Émilie Cognard a souvent travaillé sur ces zones grises qui hésitent entre le cri et le silence. Comment formuler l’indicible ? Comment donner forme à ce qui se dérobe ?
Travaillant comme toujours à partir de l’histoire du lieu, l’artiste aborde pour son exposition personnelle à la Verwalterhaus les thèmes de la disparition et de notre difficulté à faire face à l’expérience du vide qu’elle ouvre. Ici, la rupture est totale et les mots qui résonnent sont ceux qui ratifient la perte irrémédiable, ceux qu’on grave dans la pierre pour tenter de retracer une vie entre deux dates, ceux qu’on bégaye pour se réconforter. Ce sont des mots pour masquer la peine et donner forme aimable à la douleur. Des mots qui s’écoulent en sanglots et creusent au creux du cœur, du corps, de sombres déchirures.
Appréhendée comme métaphore de ce for intérieur, l’ancienne maison du gardien du cimetière devient pour l’artiste la caisse de résonance d’un réinvestissement émotionnel et poétique, autant qu’un support, une matière vive pour de nouvelles expérimentations. On y retrouve des œuvres réalisées à l’atelier à partir de textes de Maurice Maeterlinck, évoquant notamment notre rapport au temps et au vide (Le Silence) ; d’autres s’appropriant des pages nécrologiques de journaux (Qui précède la page météo et jeux) ; deux grands formats, comme d’immenses déchirures, réalisées à l’encre sur bois (Graphein) ; ou bien encore la série Ligne, conçue spécifiquement pour cette exposition à partir de relevés d’inscriptions effectués sur les tombes du cimetière. Ailleurs, les traces d’une cloison abattue inspire à Émilie Cognard la création d’une installation originale, rejouant symboliquement la fonction d’ouverture et de passage que dégageait la porte aujourd’hui disparue ; sur le palier de l’étage une marque au sol impose sa présence, dessinant comme une cicatrice que l’artiste s’approprie en l’accentuant ; plus loin, dans une pièce laissée vide, les restes d’un vieil affichage, soigneusement contournés, reliés, relus, continuent de hanter les murs dans leur forme nouvelle.
Ainsi, de pièce en pièce, l’œuvre d’Émilie Cognard retisse les liens qui nous unissent au passé. Plus que cela, elle nous invite à nous réconcilier avec lui, avec ses blessures, ses espoirs, pour retrouver ces mots qui manquent, ou à tout le moins de quoi redonner forme à ce qui s’était dérobé.
Thibault Bissirier, juillet 2023
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