THESTEIDZ.COM | 14.04.2024 | EXPOSITIONS
Présentée jusqu’au 25 mai à la galerie Chantal Crousel, l’exposition « Close-fitting Night » rassemble pour la première fois l’ensemble des langages formels explorés par l’artiste américain Nick Mauss (né en 1980, New York). L’occasion de revoir un corpus déjà aperçu au Musée d’Art Moderne (2021 et 2017) ou à la Fondation Louis Vuitton (2019), complété ici par un tout nouveau travail de céramique et de grès émaillé.
Il n’est pas aisé de circonscrire la pratique de Nick Mauss, tant sont multiples les disciplines et les médiums à travers lesquels elle se déploie : sculpture, installation, peinture, mais aussi commissariat d’exposition, mise en scène, costumes, écriture — l’artiste ayant notamment contribué à plusieurs revues d’art contemporain). Si nous devions toutefois la résumer, nous pourrions dire qu’elle s’apparente à une méthode sans contrainte, ouverte, hybride, agissant principalement dans le domaine d’une réhabilitation des sources historiques oubliées ou marginalisées, et qui pourtant sous-tendent la production artistique contemporaine. Prenons comme exemple son exposition « Transmissions », présentée au Whitney Museum of American Art en 2018, et pour laquelle il mena un véritable projet de recherche visant à recontextualiser les rôles de l’écrivain et critique Carl Van Vechten, du photographe de mode George Platt Lynes, ainsi que de leurs contemporains ayant contribué à l’effervescence des avant-gardes dans le New York des années 1930-1950. La proposition se concentrait notamment sur les liens entre les arts visuels et le ballet moderniste. En mêlant plusieurs sources d’archives et en créant des connexions inédites entre des œuvres de différents artistes, actifs à différentes périodes et dans tous les champs de la création (photographie, vidéo, littérature, mode, arts décoratifs, danse, performance), Nick Mauss composait là bien plus qu’une simple exposition de son œuvre, d’ailleurs très peu présente sur les cimaises. Il faisait œuvre avec son exposition, celle-ci devenant en quelque sorte un mode d’expression artistique, un espace d’investigation.
A contrario, et cela est suffisamment rare dans son parcours pour être d’emblée notifié, le solo show que lui consacre la galerie Chantal Crousel, à Paris, rassemble uniquement des œuvres de Nick Mauss. Plus classique dans sa forme, donc, elle offre surtout une entrée plus intime et poétique dans son travail, en se concentrant sur la place qu’occupe le dessin dans sa pratique, véritable point d’ancrage pour l’artiste. Modeste, direct, spontané, ce médium qu’il aime tant lui permet en effet de laisser libre cours à sa pensée et aux associations. Aussi, ce n’est pas un hasard si l’exposition s’ouvre sur un croquis. De lui, semble découler tout le reste.
Mais, détaillons. Sur le papier, une figure d’homme de dos, occupant toute la moitié droite ; à gauche, quelques lignes jetées à la hâte. Deux gestes, deux registres, un début d’idée. Sur le mur opposé, un rectangle de velours noir absorbe toute la lumière ; flottant par-dessus avec légèreté, un voile de satin blanc, « dévoré » du même motif d’homme de dos ; en contrepoint, et comme lévitant par magie, deux plaques de grès, lourdes, incisées et couvertes d’oxyde de manganèse, allument d’irréelles iridescences. Dur contre tendre, nuit contre jour, le dispositif pourtant simple est un vrai piège pour le regard, qu’il attire et retient de son mystère.
Dans un récent entretien pour la revue May, l’artiste explique : « Le but n’est pas de confirmer quoi que ce soit, mais de laisser aller les choses, pour trouver où il y a une ouverture, ou bien un potentiel poétique, et provoquer une réorientation. » Des ouvertures, il y en a de multiples ici, depuis les miroirs peints, devant lesquels on passe et regarde notre double se perdre dans le réseau des coups de pinceaux, jusqu’aux grandes dalles de grès émaillé, sévères comme les portes d’un sanctuaire. À travers tout l’espace de la galerie, les perspectives s’alignent, se dédoublent ou obstruent le regard. Mille échos de motifs, de formes et de matières ricochent et se chevauchent. Parfois, au milieu du chaos, une silhouette à demi humaine surgit, souvent rien qu’un bras, un profil, et cette figure qu’on ne voit que de dos.
Le travail de Nick Mauss a bien quelque chose d’un art pauvre, mais non dénué de tendresse, de sensualité, voire de narrativité. La forme est radicale, le geste minimal, certes, mais une tension circule et se distingue du strictement conceptuel. Sans se cantonner à affirmer les œuvres seules dans leur matérialité, l’artiste ne cherche pas pour autant à les dissoudre dans un discours qui serait plus fort qu’elles. Son œuvre demeure en équilibre entre ces deux extrêmes, s’arrêtant juste à temps pour n’être jamais clairement circonscrite et laisser ouverte toutes les portes.
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Exposition “Close-fitting Night” by Nick Mauss
Jusqu’au 25 mai 2024 at Galerie Chantal Crousel
10, rue Charlot – 75003 Paris
Nick Mauss, Untitled, 2019, encre, crayon et gouache sur papier, 57 × 74 × 4 cm (encadré). Courtesy de l’artiste et de la Galerie Chantal Crousel. Photo: Jiayun Deng / Galerie Chantal Crousel.
Nick Mauss, A Line That May Be Cut, 2024, satin dévoré, grès et oxyde de manganèse sur velours, 145.5 × 266 × 1 cm (textile) et 59 × 88 × 4 cm (céramique). Courtesy de l’artiste et de la Galerie Chantal Crousel. Photo: Jiayun Deng / Galerie Chantal Crousel.
Vue de l’exposition “Close-fitting Night” de Nick Mauss, Galerie Chantal Crousel, Paris, 2024. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Chantal Crousel. Photo : Martin Argyroglo.
Nick Mauss, Convergence, 2023, grès émaillé, 47 × 50 × 3 cm. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Chantal Crousel. Photo: Jiayun Deng / Galerie Chantal Crousel.
Vue de l’exposition “Close-fitting Night” de Nick Mauss, Galerie Chantal Crousel, Paris, 2024. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Chantal Crousel. Photo : Martin Argyroglo.
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