THESTEIDZ.COM | 20.09.2024 | ART CONTEMPORAIN / EXPOSITIONS
Comment la création contemporaine peut-elle s’emparer des motifs de la ruine et du vestige ? Qu’a-t-elle à en dire et à quelles fins ? C’est à ces questions que l’exposition “Ar(t)chéologie”, présentée à la galerie Sator (Romainville) et réunissant les œuvres de six artistes, se propose d’apporter des éléments de réponse.
Dans son ouvrage Les Ruines ou Méditation sur les révolutions des empires (1791), Volney s’interroge et déplore : « Que sont devenues tant de brillantes créations de la main de l’homme ? D’où viennent de si funestes révolutions ? […] Qui sait, me dis-je, si tel ne sera pas un jour l’abandon de nos propres contrées ? Qui sait si un voyageur comme moi ne s’assoira pas un jour sur de muettes ruines ? » À ce moment de l’Histoire, les idéologues comme Volney commencent à peine à poser les bases de ce qui deviendra, au siècle suivant, le romantisme. La ruine n’est déjà plus seulement un motif pittoresque, elle devient le sujet d’une effusion sentimentale sur ce que fut le passé de l’humanité, en même temps qu’un objet de méditation sur son devenir, une sorte de ligne de fuite se poursuivant des deux côtés du temps. Qu’en est-il aujourd’hui ? Quels regards les artistes portent-ils sur cet héritage, et comment l’appréhendent-ils à l’aune de notre sensibilité contemporaine ?
Pour Arnaud Kalos, l’événement archéologique est proprement fondateur. À l’âge de 8 ans, il mit au jour un trésor enfoui de milliers de monnaies romaines datant du IIe siècle. Cette trouvaille fortuite, dont le souvenir hante son travail en de nombreuses occurrences, semble avoir fixé comme un point inaugural, un moment fatidique scellant un rapport au monde mêlé de science et de sacré, de radicalité formelle et d’enchantement. L’emprise du temps sur la matière devient dès lors un objet d’attention et de déférence, n’appelant qu’un geste a minima de la part de l’artiste. Agencer simplement, à peine intervenir, pour conserver le mystère et préserver ce silence fasciné du reliquat surgit du fond des âges. À l’inverse, Gabriel Léger est plus prompt à la mise en scène. Ces œuvres nous apparaissent comme des rébus visuels, des petits théâtres de sens, dans lesquels l’inconscient, le possible narratif s’articulent à des documents et des fragments d’objets, considérés comme des « signifiants » qu’il s’agit de faire « signifier » autrement, poétiquement. Dune Varela aussi se plaît à manipuler le potentiel sémantique des vestiges, mais ce qui l’intéresse, c’est l’image photographique, dont elle travaille notamment la matérialité. Pour sa série consacrée à la statuaire antique, des photographies de détails de sculptures sont imprimées sur du marbre. La représentation s’incarne dans le même corps de pierre que celui de son motif, tandis que les cadrages resserrés rejouent la nature fragmentaire de ces collections mutilées qui emplissent nos musées. Dans Capitole (2017), l’intervention est plus brutale. Sur la photographie d’un temple, de vrais impacts de balles font écho à la violence contemporaine et à la destruction des sites archéologiques. Double métaphore de la fragilité de notre héritage et de la vulnérabilité de nos sociétés. Tirer sur le temple c’est symboliquement attaquer la démocratie. Ici, la ruine menace l’image autant que son sujet.
Déjà l’on devine une constante, que l’archéologue partage avec l’artiste : le goût de faire parler les traces, de les extrapoler pour créer du récit. Au risque parfois de verser dans l’anachronisme. C’est le cas de Nazanin Pouyandeh, dont l’univers visuel tient bien du métissage. Si dans son œuvre Vallée des Reines (2024) l’imaginaire convoqué est celui de l’Égypte ancienne, la figure féminine qui tient le rôle de souveraine nous paraît plus contemporaine. Au milieu d’un décor antique, une histoire se réécrit, au féminin pluriel. On retrouve ce même sens du syncrétisme dans l’œuvre de Léo Fourdrinier, entre les mains de qui l’antiquité, substituée le plus souvent par une reproduction, par une Vénus en plâtre ou un buste en résine, n’est plus qu’une référence parmi d’autres. Chez lui, la perversion des formes et leur hybridation devient un puissant moteur de création. Point de nostalgie, mais un relativisme décomplexé, surréaliste presque, qui emporte et poétise tout.
Si les rapports à l’Histoire apparaissent multiples, un constat s’impose : que l’archéologie est à la fois restitution et destruction ; celle, matérielle, de l’objet que l’on déterre, au risque de le détériorer, et celle, abstraite, de la lecture que l’on propose de ces objets, au risque de faire des contre-sens. Un autre point commun semble habiter l’ensemble des pratiques, une chose qui nous renvoie d’ailleurs à notre cher Volney : le sentimentalisme, et cette tentation toute humaine de conjurer le temps perdu. Truc-Anh dirait « le souffle », qui titre l’une de ses œuvres (2022). Sur un fond noir, sans nuance, deux silhouettes blanches, sans ombres, hâtivement dégagées de la nuit. L’artiste cite ici les célèbres amoureux de Valdaro, ce couple de squelettes humains enlacés depuis 6000 ans et exhumés en 2007 dans la région de Mantoue, en Italie. Plus que les autres, cette œuvre de Truc-Ahn nous dit le caractère émotionnel du lien qui nous attache à notre propre humanité, à son passé et à sa ruine, à son avenir aussi, mais surtout à l’intarissable source d’inspiration que son surgissement alimente. Au milieu des décombres il reste des possibles, que l’artiste-voyageur s’évertue à relever.
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Exposition “Ar(t)chéologie”
Jusqu’au 26 octobre 2024 at Galerie Sator (Komunuma)
43, rue de la Commune de Paris – 93230 Romainville
Vue de l’exposition “Ar(t)chéologie”, Galerie Sator, Romainville, 2024. Courtesy des artistes et de la Galerie Sator. Photo : Grégrory Copitet.
Léo Fourdrinier, Motionless desire, 2022, statue en poudre de marbre, géode, acier, chargeur de smartphone, 29 x 13 x 15 cm. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Sator.
Vue de l’exposition “Ar(t)chéologie”, Galerie Sator, Romainville, 2024. Courtesy des artistes et de la Galerie Sator. Photo : Grégrory Copitet. Portoro Leonardo, livre, 222 x 32,5 x 27,5 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Meessen. Photo : Rebecca Fanuele.
Nazanin Pouyandeh, Vallée des Reines, 2024, huile sur toile, 81 x 65 cm. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Sator.
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