THESTEIDZ.COM | 16.09.2024 | ART CONTEMPORAIN / EXPOSITIONS
Inauguré en 2022, L’Atlas est un espace à part dans le paysage de l’art contemporain, offrant à des galeries étrangères l’opportunité de présenter à Paris des artistes internationaux. En cette rentrée, c’est à la galerie bruxelloise Meessen d’y réunir une vingtaine de ses artistes, sous le mystérieux titre "Absences, mues et macules».
À deux pas du Pavillon de l’Arsenal, entre la Seine et le boulevard Morland, se dresse le nouveau quartier de La Félicité, inauguré en juin 2022 à la suite d’une longue réhabilitation d’un ancien site administratif de la préfecture de Paris. On y pénètre par une arcade de piliers de béton brut, bordant une esplanade plantée d’arbustes. Au fond, à gauche, un espace ouvert au public : « L’Atlas, galerie des mondes ». Porté par le groupe Emerige (dont on connaît l’engagement pour la création contemporaine, à travers notamment son prix), cet espace invite régulièrement des galeries étrangères à présenter leurs artistes, à travers des projets monographiques ou collectifs, pour une durée d’un à deux mois. L’exposition actuelle, organisée par la galerie Meessen, est déjà la treizième qu’accueille ce lieu atypique.
Vingt-deux artistes, quarante œuvres réparties sur deux niveaux, des peintures, des sculptures, une vidéo, des installations, des dessins. L’ensemble est dense, certes, mais la thématique qu’il aborde, relativement ouverte, permet de tirer un fil rouge intéressant autour des notions d’absence, de perte et d’altération. Surtout, elle fluidifie le parcours en ménageant de nombreux échos entre les œuvres. Ainsi, dans le premier espace du rez-de-chaussée, le visiteur est rapidement tenté de rapprocher la peinture de Christopher Orr avec celle de Xie Lei, que l’on découvre un peu plus loin. Dans celle de Orr, scène intrigante, deux jeunes garçons se suivent à travers une matière qui n’est que de la couleur et dans laquelle leurs corps sont plongés jusqu’à la taille. Ils nous tournent le dos, avançant en silence vers le fond dilué du tableau. Et ce titre, comme une énigme, Our Vision Touched the Sky. Dans l’œuvre de Xie Lei (Hands, 2024) se découvrent une poésie et un mystère semblables. Deux figures là encore, mais renversées cette fois la tête en bas, saisies dans un geste d’étreinte, sensuel et tendre. Même matière diluée, même impression de rêve, de vision intérieure. Ces deux œuvres demeurent les plus romantiques de l’exposition. Pour ce qui concerne les autres, la démarche est plus conceptuelle, plus radicale.
Qu’ils parlent de conflits ou de questions de société, des sciences, de leur intimité, ou plus réflexivement de l’art lui-même, les artistes rassemblés partagent une méthode de travail faite d’altérations et de stratégies d’évitement, de contournement du sujet : brouiller la vue, flouter, cadrer le détail ou le hors champs, assembler au hasard, brûler, recouvrir, marteler. L’empreinte se fait dessin, l’erreur et la rature s’imposent comme résultat satisfaisant, et le rebut, comme pur objet d’attention. Parmi les œuvres qui adhérent peut-être le plus au titre de l’exposition, citons celles de Claudio Parmiggiani. Une grande empreinte à la fumée d’un rayonnage de livres, emblématique de son travail (Senza titolo, 2019) nous accueille. Un peu plus loin, au rez-de-chaussée toujours, la silhouette vide d’une statue, dont il ne reste que le fantôme sur fond de suie (Senza titolo, 2018). L’absence est là, dans l’évidence d’un geste qui à la fois détériore et révèle. L’écho rebondit au premier étage, où la référence à l’histoire, que portent chez Parmigianni les motifs de la bibliothèque et de la sculpture antique, se retrouve dans une œuvre de Benoît Maire, un portrait maculé du médecin Hippocrate ; le registre de la disparition, de l’atténuation, se rejoue quant à lui dans les dessins au crayon de couleur de Léa Belooussovitch, qui, partant d’images de presse, le plus souvent de nature violente, les réduit en des halos colorés, comme pour éteindre le feu de leur brutalité et paradoxalement remédier à l’aveuglement que son surgissement produit ; et puis, il y a l’installation de Nicolás Lamas, The Agony of the Past (2023), un livre dont on ne voit que la tranche et ce titre terrible, coincé entre deux blocs de marbre rouge et noir. Il y a de cela, de l’agonie, dans nombre des œuvres rassemblées. Agonie des figures, de la matière, des sujets et des gestes, du monde dont il est question. Le nôtre. Ici l’on crée comme on soupire, avec tout de même la promesse timorée d’une renaissance, en d’autres formes, en d’autres termes.
Si l’exposition tient la route et embarque le visiteur, elle pèche en revanche par le trop grand nombre d’artistes retenus, dont nous ne voyons qu’une ou deux œuvres, sans pouvoir mesurer l’ampleur et la diversité de leur pratique. Un effet catalogue-vitrine qui est le propre des expositions collectives, dans lesquelles, bien souvent, la thématique prend le dessus. À part cette réserve, rien à dire, la frustration n’entamant rien au plaisir de revoir ou bien de découvrir.
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Exposition “Absences, mues et macules” by Meessen
Jusqu’au 25 octobre 2024 at L’Atlas, galerie des mondes
4, cour de l’Île Louviers – 75004 Paris
Vue de l’exposition “Absences, mues et macules” de Meessen, L’Atlas, Paris, 2024. Courtesy des artistes et de L’Atlas. Photo : Rebecca Fanuele.
Léa Belooussovitch, Les oiseaux, Loriquet arc-en-ciel, Plage de Mallacoota, Australie, 7 janvier 2020, 2023, crayon de couleur sur laine feutrée, 80 x 100 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Meessen. Photo : Rebecca Fanuele.
Nicolás Lamas, The Agony of the Past, 2023, marbre Portoro Leonardo, livre, 222 x 32,5 x 27,5 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie Meessen. Photo : Rebecca Fanuele.
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